[Livre] « information doesn’t want to be free » de cory doctorow : le copyright et la machine a copier

TL;DR

Le parfait livre si vous vous intéressez au copyright que vous n’avez pas beaucoup le temps de lire sur le sujet. Très bon résumé de la situation et quelques propositions très intéressantes. En une citation :

We can’t stop copying on the Internet, because the Internet is a copying machine. Literally. — C. Doctorow (dans Information doesn’t want to be free)

L’auteur

Cory Doctorow est un personnage assez particulier. D’un côté il est un auteur de science-fiction qui s’est particulièrement fait connaitre pour Little Brother. Personnellement je l’ai découvert par le biais de Homeland, la suite de Little Brother (pas la série) et j’ai tout de suite été intrigué par l’introduction du livre audio qui annonce qu’il a refusé de le mettre sur Amazon Audible car il ne veut pas bloquer ce livre avec des DRM.

Cela révèle une deuxième facette du personnage, le côté blogueur, journaliste qui se bat pour une évolution du droit d’auteur en faveur de plus de liberté, plus de créativité. C’est justement tout le sujet du livre dont je parle dans ce billet.

En deux mots sinon, je connaissais en fait déjà l’une de ses « oeuvres », que je ne saurais trop vous conseiller, le site BoingBoing.

Il serait trop restrictif de parler de ce livre sans parler des préfaces par A. Palmer et N. Gaiman. Ce dernier est un auteur britannique de roman que je n’ai toujours pas lu. Amanda Palmer est quant à elle une chanteuse qui s’est fait connaitre dans le groupe « Dresden Dolls » et qui a récemment écrit « The Art of Asking » que je vous conseillais dans mes livres préférés de l’année. A. Palmer fait partie de ces créateurs en train de créer un nouveau modèle « économique » de la culture et il est donc tout à fait à propos de l’entendre ouvrir ce livre sur le droit d’auteur et son évolution.

La machine a copier

Vous l’aurez compris avec la présentation de l’auteur, le livre parle du copyright et des protections numériques à l’époque d’internet. Beaucoup de choses ont déjà été entendues mais la façon de les présenter est tout à fait brillante!

Dès le début du livre, C. Doctorow rappelle un fait : l’ordinateur est une machine à copier, la copie est au centre même du fonctionnement d’un ordinateur, de ses rouages internes à son fonctionnement macro.

There is no way to communicate on the Internet without sending copies. You might think you’re “loading” a web page, but what’s really happening is that a copy is being placed on your computer, which then displays it in your browser. (Actually, in the case of a web page, there are probably hundreds of copies made in response to your click. You click and the page you requested is copied to server RAM, to routers, to caches, to more routers, to your network router, to your computer’s network buffer, to your computer’s drive cache, to your computer’s RAM, to your computer’s video buffer, and then to the screen.) — C. Doctorow

Traduction : Il n’existe pas de moyen de communiquer sur internet sans créer des copies. Vous pensez peut-être que vous « chargez » une page web, mais en fait une copie est en train d’être enregistrée sur votre ordinateur qui est ensuite affichée dans votre navigateur. (En fait, ans le cas d’une page web, il y a probablement des centaines de copies créées par votre seul clic. Vous cliquez et la page demandée est copiée dans la RAM du serveur, des routeurs, des caches, d’encore d’autres routeurs, dans le routeur de votre réseau, dans le buffer de votre ordinateur, dans le cache de votre disque dur, dans la RAM de votre ordinateur, dans le buffer vidéo de votre ordinateur et enfin seulement sur votre écran.)

Ce bête rappel permet de mieux comprendre à quel point essayer de limiter ou interdire la copie sur internet est peine perdue et contre-nature. On pourrait bien sûr imaginer de faire des ordinateurs plus simples, qui ne sauraient pas tout faire, mais sauraient faire tout SAUF copier. Le problème est qu’aujourd’hui on n’a aucune idée de comment fabriquer ce type de machine sans en faire une qui sait tout faire puis que l’on a bridée.

We know how to build a computer that can solve one kind of problem (like a mechanical adding machine), and we know how to build a computer that can solve all kinds of problems. But we don’t know how to design and build a computer that can run every program except for one program that pisses off, endangers, or harms the entertainment industry. — C. Doctorow

Traduction : On sait fabriquer un ordinateur qui peut résoudre un type de problème (comme une calculatrice mécanique), on sait aussi fabriquer un ordinateur qui peut résoudre tous les types de problèmes. Mais on n’a aucune idée de comment créer un ordinateur qui peut exécuter tous les programmes sauf un qui nous embête, qui nous menace, ou qui fait souffrir industrie du divertissement.

Les voleurs

Partant de ce constat de l’impossibilité d’empêcher la copie, C. Doctorow réfléchit à la manière pour un artiste de survivre dans un monde ou tout le monde peut copier gratuitement ses oeuvres. Première étape, arrêter de prendre celui qui copie les oeuvres comme un voleur.

It seemed to me that copying music was not stealing. It was something else. It was the duplicator machine story: you were pressing a button and an object appeared in the pan. Which meant, I suspected, that music-as-object (CD, vinyl, cassette tape) was going to lose value, and that other things—mostly things that could not be reproduced, things like live shows and personal contact—would increase in value. — A. Palmer

Traduction : Il m’apparut que copier de la musique n’était pas voler. C’était quelque chose d’autre. C’était l’histoire de la machine à dupliquer : vous appuyiez sur un bouton et u objet apparaissait. Cela signifiait, je m’en doutais, que la « musique comme objet » (CD, vinyl, cassette audio) allait perdre sa valeur, et que d’autres choses – principalement des choses qui ne peuvent pas être reproduites, des choses comme les spectacles vivants et le contact humain – allaient prendre de la valeur.

Plus que ne plus prendre le client pour un voleur, il faut gagner en pragmatisme et regarder quelles pratiques sont rémunératrices.

Here are some other things that don’t make money:
– Complaining about piracy.
– Calling your customers thieves
– Treating your customers like thieves. — C. Doctorow

Traduction : Voici quelques pratiques qui ne permettent pas de gagner d’argent :
– Se plaindre du piratage
– Traiter vos clients de voleurs
– Agir avec vos clients comme s’ils étaient des voleurs

Ceci fait, C. Doctorow peut présenter ses trois lois pour un meilleur monde de la création et du partage des créations.

Wouldn’t it be nice to come up with a way of making money that works on the Internet we have today, instead of the one that Hollywood is betting on creating tomorrow? — C. Doctorow

Traduction : Ne serait-il par chouette de trouver un fonctionnement rémunérateur qui fonctionnerait sur l’internet que nous avons aujourd’hui plutôt que sur celui qu’Hollywood essaie de créer pour demain?

Loi 1 : A chaque fois que quelqu’un met un cadenas sur quelque chose qui vous appartiens et ne vous en donne pas la clé, ce cadenas n’est pas là pour votre avantage

Ah, les DRM, ces cadenas numériques présents sur la plupart des oeuvres numériques. L’histoire ne cesse de se répéter : L’industrie impose des DRM qui ne réduisent en rien le piratage mais au contraire pénalise la pratique légale puis finalement après un temps plus ou moins long l’industrie se rend compte de son erreur et reviens en arrière.

 

L’industrie de la musique est maintenant largement dépourvue de DRM (du moins pour la musique en téléchargement) mais l’industrie du film et du livre est encore dans l’erreur à ses dépens : aujourd’hui acheter un ebook est un enfer parce que des DRM empêchent de le lire partout…

The truth is that most digital locks that anyone cares about are broken in a day or two. — C. Doctorow

Traduction : La vérité est que la plupart des cadenas numériques qui intéressent quelqu’un sont cassés en un jour ou deux.

Non les DRM ne servent à rien, on le sait, bien des études l’ont montré mais les professionnels du secteur ne souhaitent pas l’entendre. Cette première partie est donc une longue argumentation contre le DRM, elle est passionnante pour le convaincu car cela lui donnera un argumentaire bien structuré. Elle est passionnante pour le non encore convaincu, surtout s’il est un acteur du secteur, pour se rendre compte à quel point il se fait mal avec ces pratiques.

If you’re a publisher, label, or studio, the answer is simple: don’t let companies sell your goods with digital locks on them. And if a company refuses to sell your goods unless they can put their locks on your products? Well, you can be pretty sure that those locks aren’t there for your benefit. — C. Doctorow

Traduction : Si vous êtes un éditeur, un label, un studio, la réponse est simple : ne laissez pas des entreprises vendre votre travail avec des cadenas numériques. Et si une entreprise refuse de vendre vos oeuvres sans cadenas numérique? Eh bien vous pouvez être sûr que le cadenas n’est alors pas là pour votre bien.

A ce stade du livre, on n’est convaincu de l’inutilité du DRM, mais alors comment vivre dans un monde ou tout le monde peut joyeusement pirater vos oeuvres, le reste du livre est là pour ça.

Loi 2 : La célébrité ne vous rendra pas riche, mais vous n’obtiendrez pas d’argent sans.

Après avoir compris que limiter la copie avec des DRM était une erreur, cette deuxième partie du livre insiste sur l’importance du partage aujourd’hui. Pour cela il utilise une métaphore efficace : « cessez d’être des mammifères, devenez des pissenlits ».

I remembered what Charles Dickens did, a hundred and fifty years before, when copyright laws meant that his copyrights were worth nothing in the U.S.: he was widely read, but he was not making any money from it. So he took the piracy as advertising, and toured the U.S. in theaters, reading from his books. He made money, and he saw America. — A. Palmer

Traduction : Je me souviens ce que fit Charles Dickens il y a 150 ans, quand les lois sur la copie faisaient que ses droits ne valaient plus rien aux Etats Unis : Il était lu partout mais il ne gagnait pas d’argent grâce à cela. Il prit alors le piratage comme une publicité et organisa une tournée aux Etats Unis pour faire des lectures de ses livres. Il gagna de l’agent et parcouru l’Amérique.

Nous créons comme des mammifères, nous protégeons chaque nouvelle oeuvre, comme un enfant, voulant que chacune de ses copies rapporte de l’argent. Il faut maintenant agir en pissenlit, diffuser au maximum ses créations pour atteindre tous les destinataires prêts à rémunérer ces oeuvres. Plutôt que d’espérer 20€ payés par 10000 personnes, il est raisonnable d’espérer aujourd’hui 2€ payés par 100000 personnes pour peu que l’on se diffuse un maximum.

“Obscurity is a far greater threat to authors and creative artists than piracy.”  — TIm O’Reilly

Traduction : L’obscurité est une bien plus grande menace pour les auteurs et créateurs que le piratage.

Dans cette partie, les exemples sont légion, avec en particulier celui de XKCD, site qui diffuse régulièrement des BD qui sont partagées dans le monde entier, sur un nombre incalculable de sites web.

Randall can’t eat the adulation of nerds. Instead, he sells swag. A lot of swag. Randy lives with his wife in a house whose living room has been converted into a ball pit. He and his friends sit in the ball pit and play video games all day. Three times a week, Randall draws and posts an xkcd comic. His other major chore is depositing checks from the company that sells his T-shirts and posters. He’s living the dream. What’s more, the more famous—the more copied—Randall’s comics get, the more money he makes. He doesn’t need to control or reduce copies. Good thing, because he knows he can’t. — C. Doctorow

Tradyction : Randall ne peut pas faire taire l’adulation des nerds. Au lieu de ça, il vend un état d’esprit. Randy vit avec sa femme dans une maison où la salle à manger a été convertie en piscine à balles. Lui et ses amis restent dans la piscine et jouent aux jeux vidéos toute la journée. Trois fois par semaine, Randall dessine et poste une BD sur XKCD. Son autre principale activité est d’encaisser les chèques de l’entreprise qui vend ses tee-shirts et posters. Il vit un rêve. Plus fort, plus ses dessins deviennent célèbres – copiés, plus il gagne d’argent. Il n’a pas besoin de contrôler ou réduire les copies. C’est une bonne chose, car il sait qu’il n’en a pas le pouvoir

 

Loi 3 : L’information ne veut pas être libre, ce sont les gens qui le veulent.

La troisième loi donne son titre au livre. Ce chapitre aborde les aspects de liberté de diffusion de l’information. En particulier il rappelle a quel point certaines tentatives de loi de protection du droit d’auteur sont absurdes. Imaginez par exemple si la police débarquait à la fête d’anniversaire de votre fillette parce qu’elle passait du Beyoncé… Je vais moins m’étaler vu la longueur de cet article mais c’était tout aussi passionnant à lire!

En bref, foncez, c’est vite lu et passionnant, il est disponible ici.

Citations

 if I’m wrong, I promise that I’ll be wrong in a well-informed and interesting way. — C. Doctorow (Si je me trompe, je promet de le faire en étant très bien informé et de manière intéressante).

“Never underestimate the determination of a kid who is cash-poor and time-rich.” — C. Doctorow (Ne jamais sous-estimer la détermination d’un enfant pauvre qui a beaucoup de temps libre).

“Nothing needs to be done to keep honest people honest, just as nothing needs to be done to keep tall people tall.” — Ed Felten (a professor at Princeton, and formerly the chief technologist of the Federal Trade Commission) (Rien n’a besoin d’être fait pour que les gens restent honêtes tout comme rien n’a besoin d’être fait pour que les gens restent grands).

China is literally ruled by engineers. Eight of the nine previous politburo members were engineers; China as a whole has more engineers than any other country in the world, and what’s more, it’s the place where the majority of the world’s networking equipment is manufactured. […] But despite all this, China has not managed to “track content.” Its censorwall, at the end of the day, is no more impenetrable than the ones that have been constructed anywhere else. If China can’t do this—with all those engineers, with all that equipment, with so few impediments to harsh punishment—then how does Bono expect the liberal democracies he was addressing in his Times editorial to manage it? — C. Doctorow (La Chine est littéralement dirigée par des ingénieurs. Huit des neuf membres du bureau politique étaient des ingénieurs; La Chine au global a plus d’ingénieurs que n’importe quel autre pays dans le monde, et en plus c’est ici que la majorité des équipements de réseau sont fabriqués […] Malgré tout cela, la chine n’a jamais réussi à « espionner le contenu ». Son mur de censure, n’est au final pas plus impénétrable que tous ceux construits ailleurs. Si la Chine n’arrive pas à le faire – avec tous ses ingénieurs, avec tout cet équipement, avec aussi peu de problèmes à fortement blâmer les opposants – alors comment Bono imagine que les démocraties libérales auxquelles il s’adressait dans le Times arriveraient à le faire?)
In the twenty-first century, copying isn’t a problem. In the twenty-first century, copying is a fact. You can’t and won’t solve copying. — C. Doctorow (Au XXIe siècle, la copie n’est pas un problème. Au XXIe siècle, la copie est un fait. Vous ne pouvez ni ne voulez « résoudre » la copie.