Cet article est une reproduction du dossier que j’ai écrit pour Podcastscience et je vous engage à vous abonner à ce podcast. Pour les plus flemmards, le texte et l’audio dans la suite…
Nous avons vu la semaine dernière la naissance du zéro et son arrivée en Europe. Je vous épargnerai son adolescence, période toujours rude et dificile… Passons directement aux amours du nombre! Le zéro, si particulier, se devait de trouver un compagnon de mathématique à son image, qui tantôt fit peur aux hommes puis permit de construire les plus grande théories…
Rencontres
A l’époque où les Grecs étaient particulièrement effrayés par le plus nul des deux nombres, Zénon présentait un paradoxe que j’avais déjà évoqué à l’époque du dossier sur l’infni. Zénon imaginait une course entre Achille et une tortue. Sur un circuit de longueur 1, Achille partirait de l’un des bouts alors que la tortue partirait de la moitié du parcours.
Comme Achille est un héros légendaire, on suppose qu’il va deux fois plus vite que la tortue. Si bien que quand il arrive à la moitié du parcours, la tortue est aux trois quarts. Quand Achille est finalement aux trois quarts, la tortue est aux 7/8 et ainsi de suite.
Si bien que la tortue et Achille doivent parcourir une infinité d’intervalles. Alors que le circuit est de taille finie! Les Grecs n’étaient pas à même d’expliquer ce “paradoxe” car ils ne connaissaient pas la notion de limite. Achille partcourt des intervalles de taille 1/2, 1/4, 1/8, 1/16, etc. Ce qui fait que le chemin parcouru est le résultat de la somme infinie :
S=1/2+1/4+1/8+1/16+…
Il est vrai qu’additionner une infinité de termes donne souvent un résultat infni. Mais rappelez-vous le dossier sur l’origine du zéro: la somme d’une infinité de zéro fait zéro! En fait, si les termes d’une somme sont de plus en plus petits, leur somme infinie peut avoir une limite finie.
Dans le cas de cette somme, regardons le chemin restant au fur et à mesure de l’avancée d’Achille. Quand il arrive à la moitié, il ne reste plus qu’un demi, quand il passe les 3/4, il ne reste plus que 1/4, puis 1/8, etc. Le chemin restant est de plus en plus petit. On voit donc que 1-S est de plus en plus petite, on dira que la somme S tend vers zéro.
Ce paradoxe est l’une des premières rencontres entre zéro et l’infini. Ils sont déjà inséparables, jamais une somme infinie ne convergera si ses termes ne tendent pas vers zéro. En revanche, toutes les sommes infinies avec des termes de plus en plus petits ont une limite. Prenons par exemple la somme :
S=1+1/2+1/3+1/4+1/4….
Chaque terme tend bien vers zéro, mais si l’on regroupe les termes de manière astucieuse :
S=1+1/2+(1/3+1/4)+(1/5+1/6+1/7+1/8)+…
Or, 1/3+1/4 est supérieur à 1/4+1/4=1/2, et 1/5+1/6+1/7+1/8 est supérieur à 1/8+1/8+1/8+1/8=1/2, et ainsi de suite : chaque terme entre parenthèse est supérieur à 1/2. Si l’on continue de la sorte, on obtient une somme infinie de termes plus grands que 1, la somme ne peut pas être finie. Ainsi avec ce paradoxe, le zéro et l’infini étaient d’ores et déjà intimement liés, l’un sans l’autre, on ne pouvait résoudre le paradoxe d’Achille et la Tortue.
Flirt
Zéro et l’infini ont continué un certain moment à se tourner autour et parfois ont appris à vivre ensemble au sein de théories aussi originales que pratiques. Un des plus beaux flirts du zéro et de l’infni se trouve dans la géométrie projective, une science qui s’intéresse à la déformation des figures géométriques lorsqu’on les projette. Ou encore, qui s’intéresse à l’ombre des objets lorsqu’on les éclaire avec une lampe.
Cette discipline a été créé alors que le mathématicien Poncelet était dans une prison russe. Le travail de Poncelet était un héritage des travaux des architectes et artistes de l’époque comme Léonard de Vinci qui venaient de découvrir la perspective pour représenter les scènes en 3D de manière réaliste. Dans une scène dessinée en perspective, tout est déformé. Les droites parallèles ont une intersection et cela ne choque personne, cela parait naturel! Toutes les droites convergent vers un même point à l’infini, le point de fuite.
La perspective présentait une vision déformée du monde et la géométrie projective s’intéresse justement aux déformations des formes projetées sur certaines surfaces. On peut projeter tout sur n’importe quoi. Pour faire de la géométrie projective chez vous, prenez une lampe-torche et amusez-vous à éclairer le mur. Selon la position de la torche par rapport au mur, vous observerez un cercle, une ellipse, voire même une parabole!
Riemann eut l’idée d’une projection encore plus étonnante pour représenter le plan. Imaginons un ballon de foot transparent posé sur un terrain de foot infini (oui, quitte à faire du sport, les mathématiciens le font sur un terrain infini, ça expliquera un peu mieux la courbure du terrain dans Olive et Tom).
Le point de contact entre le ballon et le terrain sera appelé zéro. On peut en effet choisir que cet unique point de contact entre la sphère et le plan soit justement l’origine du plan sans faire hurler l’infinité de spectateurs qui observent attentivement la construction Riemanienne. Maintenant que le décor est posé, arrive un nouveau protagoniste, une luciole, qui décide de se poser sur le ballon, juste au-dessus du zéro, de manière à ce que l’origine du plan et l’endroit où s’est posée la luciole soient diamétralement opposés.
La nuit tombée, la seule source de lumière est le postérieur de la bestiole. Si alors un moustique, attiré par la luciole, vient se poser sur le ballon, son ombre sera projettée en un endroit du terrain. Plus le moustique sera proche de la luciole et plus l’ombre sera lointaine sur le terrain.
Par cette simple construction, Riemann associe à chaque point de la sphère un unique point du plan et à chaque point du plan un unique point de la sphère. N’importe quelle forme géométrique sera aussi associée. Ainsi, chaque hexagone et pentagone du ballon (oui, car un ballon de foot ne peut uniquement être constitué d’hexagones mais ça c’est une autre histoire) vient lui aussi se projeter sur le plan d’une manière déformée. Toute la sphère – sauf l’endroit où est la luciole – correspond à un point du plan.
Justement, ce point où a choisi de se poser la luciole est l’âme-soeur du zéro, l’infini. Plus l’insecte se rapproche de la luciole, plus son ombre s’éloigne, se rapproche de l’infni!
Riemann avait non seulement transformé le plan auquel on ajoute l’infini à une simple sphère. Plus fort encore, certaines opérations très compliquées deviennent très simples sur la sphère. Par exemple, passer à l’inverse, la fameuse opération qui à x associe 1/x, correspond tout simplement à retourner le ballon! Les plus observateurs remarqueront que nous sommes dans un espace de dimension 2 et que par conséquent 1/x ne veut pas dire grand chose, en fait si en utilisant les nombres complexes que je choisis délibérément de ne pas détailler ici. Et donc, dans ce monde merveilleux créé par Riemann, on a le droit de diviser par zéro, 1/0=infity. Zéro et l’infini deviennent deux points symétriques sur une sphère, on peut aisément remplacer l’un par l’autre grâce à une simple rotation!
Cette construction est très utile en mécanique quantique par exemple où la droite projective (projection d’une droite qui passe par zéro) correspond aux états de polarisation du photon mais je ne m’égarerai pas à en dire plus dans ce dossier focalisé sur l’histoire d’amour entre le zéro et l’infini.
Mariage
Comme tout beau conte, on en vient un jour au mariage. C’est un des principes les plus étonnants de l’histoire des sciences qui scellera à jamais leur union : le principe d’incertitude de Heisenberg. Ce principe est un rare exemple dans les sciences de majoration. Il énonce que le produit de l’erreur de mesure de la vitesse par l’erreur de mesure de la position d’un même objet ne peut être inférieure à une constante. En d’autre termes, on ne peut pas connaître avec une parfaite exactitude la position et la vitesse d’une particule.
Ainsi, si l’on connaît avec une précision parfaite la position d’une particule (une erreur nulle de mesure), l’erreur de mesure de la vitesse sera forcément infinie. Un monde où le zéro est présent ne peut exclure l’infini!
[Dessin du mariage de l’infini et du zéro]Imaginons alors que l’on enferme des particules dans une boîte de 1m de coté, on connaîtra alors leur position à 1m près. Imaginons maintenant que nous réduisions cette boite. Plus on réduit la boite, plus on connaît précisément la mesure de la position des particules qu’elle contient et moins l’on connait leur vitesse, par le principe de Heisenberg. Tout cela jusqu’à aller à une constatation un peu folle : une fois que la boite est réduite à un point, elle ne peut rien contenir, seulement du vide, et en ce point précis, on ne peut connaitre la vitesse, elle peut aussi bien être finie qu’infinie… Or grâce à la fameuse équation d’Einstein E=mc2, on sait que la vitesse c’est de l’Energie et cette énergie c’est l’Energie du Vide!
Il est très dur d’accepter que le vide puisse avoir une énergie et beaucoup de physiciens éludaient ce “problème” jusqu’à ce qu’un certain Casimir (rien à voir avec l’ile aux enfants, on parle ici de Hendrick B.G. Casimir) la mette en évidence.
Pour expliquer que le vide puisse avoir une énergie, des particules doivent pouvoir apparaitre et disparaître intantanéement un peu n’importe où n’importe quand. Pour mettre ce phénomène en évidence, Casimir plaça deux plaques dans du vide. Il les plaça tellement proches que certaines particules ne pouvaient pas y apparaitre du fait de leur longueur d’onde. Le déficit de particules au milieu des plaques par rapport à l’extérieur fit que les plaques se rapprochèrent. Tout cela alors qu’on était en plein milieu du vide! L’energie du vide existait donc bien.
Voila la fin de la romance du zéro et de l’infini, comme toute histoire, il y aurait bien d’autres choses à conter mais il faut savoir s’arrêter : le vide et l’infni ne peuvent vivre l’un sans l’autre et grâce à cet union, même le vide possède une énergie!
Sources :
- “Zero : biography of a dangerous idea” de Charles Seife : LE livre grâce auquel j’ai construit ce dossier, tout simplement.
- “The book of nothing : Vacuum, Voids, and the lastest ideas about the origins of the universe” de John D. Barrow