Il y a quelques mois, j’ai entamé une candidature à 42, l’école financée par Xavier Niel et fondée par des anciens de d’EPITECH. Et un matin je reçois un coup de fil à propos de mes articles sur ce blog alors je négocie une interview (ce ne fut pas très compliqué, je l’avoue). En un doux matin de juillet, je rencontre finalement Benny SCETBUN, membre de l’“équipe pédagogique” de cette nouvelle école. Voici enfin la retranscription de cet interview accompagnée de mes commentaires. Donc, après le N., mes questions, après le B.S. les réponses de Benny et le reste sont des commentaires hors interview
D’abord quelques éléments sur l’interviewé. Benny SCETBUN fait donc partie de l’équipe fondatrice et travaille aujourd’hui sur la mise en place de la pédagogie. Comme il a eu l’occasion de me le répéter à plusieurs reprises lors de la rencontre, toute l’équipe fait un peu de tout, il est donc tout à fait apte à nous parler de tout ce qui va se passer dans cette mystérieuse école. Une spécificité malgré tout, il a conçu les tests sur lesquels plusieurs futurs élèves (ou non) se sont cassés les dents avant de pouvoir atteindre la “piscine”. Pour ceux que ça intéresserait, il a été formé à l’Epitech puis a été professeur dans cette école. Il a aussi créé une section programmation au sein d’Isart Digital, bref, ce n’est ni un débutant en enseignement ni en programmation.
J’arrive à l’heure du repas (soit 14H) en ce début du mois de juillet dans ce qui sera les futurs locaux de l’école. Tout est en travaux, mais la salle remplie d’iMac dernier cri est déjà là. Et comme le dit parfaitement Benny, c’est la seule salle qui à ce moment-là ressemblait déjà aux photos!
Internet permet de discuter avec n’importe qui n’importe où sans avoir d’idée claire de ce à quoi ressemble son interlocuteur. Je croyais alors voir débarquer un individu au physique relativement normal, sans costard (nous sommes dans une école d’informatique), mais quand même ressemblant à un… prof! (avec bien sur tous les préjugés que j’ai pu hair lorsque j’ai eu l’occasion d’enseigner). Au contraire, arrive pour me saluer une personne bien bâtie au tee-shirt de heavy metal ou assimilé (ma mémoire ne me laisse pas me souvenir exactement, je pense que vous voyez le tableau) et en tout cas tout aussi sympathique qu’au téléphone ou sur les mails. Nous commençons à discuter de manière informelle avant que je puisse installer le micro…
B.S (42) : Un des truc qui m’a toujours agacé et qui agace les gens d’ici c’est que ya une grosse différence entre ingénieur et programmeur! Quand la programmation a commencé, les ingénieurs faisaient programmeurs. Mais aujourd’hui, on s’est rendu compte que c’est un autre métier. Alors oui, il faut des ingénieurs : un ingénieur son travail c’est de prendre un problème complexe, etc., et réussir à le résoudre, trouver une solution, le subdiviser en petits problèmes que l’on peut eux résoudre les uns à côté des autres. Le programmeur, un de ses travaux peut être de prendre ça et de le transformer en code, ou alors, encore mieux, vu qu’à force de programmer on va avoir une logique un peu particulière, ça va être d’automatiser, de résoudre tous les problèmes avec cette logique. Et c’est une logique que n’ont pas forcément les ingénieurs en fait. C’est-à-dire qu’ils résolvent de manière mathématique ou autre.
Il y a un exemple qui avait été donné dans les années 80 : l’ANPE avait tous les jours des gens à ajouter et retirer des listes de gens qui cherchent de l’emploi et à l’époque il leur fallait 8H ou 12H pour pouvoir remettre la liste à jour. Ils s’étaient rendu compte qu’au bout de 3 mois, ils allaient avoir un problème, c’est-à-dire qu’il leur faudrait plus de 24H pour mettre à jour la liste, de tous les jours… Ils ont donc demandé à un programmeur pur et dur et à un Polytechnicien de résoudre le problème. Le Polytechnicien a sorti un papier de 30 pages en expliquant pourquoi ce n’était pas possible, car on utilisait le meilleur tri. On faisait des quick-sort, bref il n’y avait pas de meilleur algo pour résoudre le problème. Et l’informaticien, ce qui s’est passé c’est qu’il a résolu le problème et la mise à jour se faisait en 1’30″.
N : Sans doute qu’il ne le résolvait pas “exactement” mais que ça suffisait?
B.S (42) : En fait si, il le résolvait exactement. Le truc c’est que le Polytechnicien avait oublié un détail c’est que la liste est triée tous les jours. Et en fait quand tu fais une insertion ou une suppression dans une liste triée c’est hyper rapide. La complexité moyenne du quick sort est une des meilleurs dans la
majorité des cas. Si la liste est déjà triée, il s’en fout, il va tout
reclasser, tout retrier. Son temps moyen étant proportionel à nlog(n)
au moins tu sais le temps que te prendra ton tri.
C’est un exemple de la différence entre un programmeur et un ingénieur. Un ingénieur il prend le truc dans son ensemble en tant que problème complexe, il se dit “non on peut pas faire mieux”. Le programmeur, il voit les petits points de détails qui sont insignifiants, c’est des détails que tu ne prends même pas en compte dans le problème : “bah oui la liste elle est déjà triée en fait”.
Ce premier exemple qui a le joyeux goût d’ouvrir cet interview est très bien choisi. Pour un peu connaitre le monde du développement et surtout pour avoir une formation d’ingénieur, je peux aussi assurer qu’une bonne partie du boulot d’un développeur consiste à faire des choses que l’ingénieur considère comme impossibles. Bref, passons au coeur du sujet, les épreuves!
N : Nous allons donc parler d’abord des épreuves et puis tu vas nous parler de l’école parce que mine de rien il y a peu d’informations pour l’instant. Quel est ton rôle dans l’école et dans la sélection?
B.S (42) : Grosso-modo tout le processus et je suis un des mecs qui s’est occupé du processus de sélection. On était trois à coder le site. Les idées des jeux ce sont les miennes, j’ai fait 90% des jeux et pour le reste du site, c’est plutôt les deux autres.
N : Quel était le but de ces épreuves?
B.S (42) : On avait un test de prérentrée, il nous permettait de sélectionner principalement en fonction de la motivation. C’est-à-dire qu’on a baissé les critères de plus en plus parce qu’on s’est rendu compte qu’on avait des critères trop haut.
N : Les critères des épreuves?
B.S (42) : Oui, nos tests sont très pénibles : il faut s’inscrire à une date donnée, il faut venir à l’heure… Au final on s’est rendu compte qu’on dégageait tous les gens qui n’étaient pas motivés.
N : À propos de cela, j’ai été très étonné à propos du “venir à l’heure” car pour moi, une des caractéristiques du développeur que je connais n’est pas spécialement la ponctualité voire même les horaires. Par exemple je voyais des test à 8H, bref, très étonné!
B.S (42) : Nous on est des anciens d’EPITECH, on avait des soutenances et grosso modo les soutenances c’est facile, la soutenance commence à 11H, même si tu ne passes pas à 11H, il y a un créneau prévu et une salle pour faire attendre, si t’es pas là à 11H pile c’est raté c’est moins 21.! Mais parce que justement c’est le défaut qu’ont les programmeurs, on
essaie de ne pas l’accentuer. Mais la, la ponctualité c’était une chose, ils pouvaient avoir 10 minutes de retard pour info…
N : Oui j’ai vu, ne serait-ce que pour les histoires de connexion. Et sur un test de 5 minutes, avoir 10 minutes de retard c’est déjà sympa!
B.S (42) : Oui voilà. Mais l’idée était vraiment plus de les obliger à revenir à une certaine heure, à une certaine date. Donc ça veut dire qu’ils sont quand même motivés. Des gens nous ont dit que c’était chiant! Moi j’ai envie de répondre, si vous vous inscrivez dans des écoles lambda, ils ont des phases de test et leurs phases de test eux c’est trois jours dans l’année où il faut venir tel jour telle heure et on perd sa journée. Et vous n’avez pas le choix!
N : C’est vrai. Sauf que des rendez-vous sur internet, on en a jamais…
B.S (42) : En plus il y avait le petit coté “vous saviez que vous étiez 120 personnes à le faire en même temps”. Justement c’était l’idée de reproduire sur le net “vous êtes tous ensemble à travailler sur le sujet”.
N : Sur le questionnaire de départ (avant les épreuves), c’était surtout pour tester la motivation parce qu’il y avait quand même beaucoup de questions humoristiques?
B.S (42) : Oui, en fait on avait au départ une idée qu’on a pas pu faire, car on n’avait pas les compétences en interne. L’idée de départ de ces questions était de faire un test de personnalité, un vrai. Mais on a pas eu le temps, le site s’est fait très très vite, on l’a commencé en février et il est arrivé en mars. On a mis un mois et demi pleine balle, on n’avait pas commencé avant.
N : En partant de la feuille blanche?
B.S (42) : On avait juste réfléchi aux exos mais grosso modo c’est tout. On savait plus ou moins ce qu’on voulait faire et il s’est pas mal modifié tout le long.. Quelque chose qu’on voulait faire donc, avec ce questionnaire… On a remarqué que les gens d’EPITECH se ressemblaient pas mal à la sortie et à l’entrée se ressemblait un peu. Et les gens qui réussissent se ressemblent beaucoup. Donc on se disait, peut-être qu’on pourrait faire sortir des stats pour détecter plus facilement les gens qui seraient capables de réussir chez nous. Après ça ne veut pas dire forcément que ce seraient les meilleurs. C’est un point important ça, on a pas essayé de trouver les meilleurs, on a essayé de trouver que des gens qui réussissent avec nous. Ca se peut qu’il y ai des gens qui soient meilleurs que les nôtres, mais qui ne seront pas chez nous parce que nos tests les auront éliminés. Mais normalement, avec ce que l’on fait, on va avoir des gens qui réussissent chez nous et qui sont bons. Mais il n’y aura peut-être pas le meilleur du monde dans le lot, c’est beaucoup plus dur de trouver les meilleurs.
N : Toujours pour les épreuves, j’ai été étonné de la présence d’une épreuve de mémoire. J’ai pas beaucoup de mémoire…
B.S (42) : Pas de problème, j’imagine que tu as du faire 7 ou 8?
N : Oui sans doute…
B.S (42) : Eh bien comme tout le monde parce que l’être humain a 7 ou 8.
N : Et quel intérêt de mettre une épreuve alors?
B.S (42) : D’éliminer. Ca éliminait les gens du fond. Il y a des gens qui ont des problèmes de mémoire, des vrais. Des gens qui sont à 4, ils ne peuvent pas passer 4. pour moi ces des gens qui vont écrie 5 lignes de code, il aura 4 variables, il saura plus ou il est en 2 minutes. Ca c’est un problème. On voulait faire des tests basés sur de l’intelligence pure et dure. Et dans les formes d’intelligence des tests cognitifs de base, il y a la mémoire, l’attention, la logique, un test de spatialisation (les tangram : est-ce que je peux reproduire une forme avec une autre forme). On n’était même pas sur que nos tests étaient à 100% valides… Le test de logique je sais qu’il sélectionnera des gens valides en tant que programmeur.
N : Pour le dernier test il y avait une épreuve impossible, pour certains…
B.S (42) : Oui alors je peux le dire, car c’est quasiment fini les tests, il est impossible. Même changer le code en javascript ça ne sert à rien.
N : J’ai pu lire dans des forums que ce n’était pas forcément impossible au même stade pour tout le monde?
B.S (42) : Oui, comme d’habitude on a un arbre des possibles des niveaux : Niv 1 tout le monde a le même, Niv 2 tout le monde a le même, Niv 3 il y en avait deux, un impossible et un possible, Niveau 4 pareil, Niv 5 tout le monde impossible. L’idée était de voir combien de temps les gens duraient, s’ils avaient fait des essais, etc. Par exemple, quelqu’un qui se dit juste “c’est impossible” et il s’en va, eh bien nous on le sait, on sait combien d’essais il a fait.
N : La dessus justement, c’était volontaire de ne pas pouvoir signifier que c’était impossible. Le but c’était que la personne s’acharne?
B.S (42) : C’est ça.
N : Le but n’était pas, comme j’ai fait, de bidouiller pour que ça marche?
B.S (42) : Oui ça aucun problème, c’est très bien. Mais un acharné c’est bien aussi, quand on sait s’acharner, il y a certain problèmes où tout le monde dit c’est impossible et en s’acharnant certains ont trouvé une solution avec une astuce apparue à force d’essayer. Beaucoup de découvertes scientifiques se sont faites par pur hasard de mecs qui tripotaient. Dans les meilleurs exemples il y a la chimie où l’on trouve plein de trucs par hasard.
N : De ce que j’entends, le fait d’aller “hacker” la page n’était pas prévu?
B.S (42) : Si, tous les jeux étaient checkés derrière, ça disait que vous aviez triché. On mesurait le temps, le nombre d’essais, etc. Ca dépendait des exos, certains c’était le nombre de clics, tout ce qu’on pouvait, traquer qui n’était pas trop intrusif, on essaie de le traquer. Notre objectif était de pouvoir faire notre popote avec pour sélectionner les gens.
N : Donc le fait d’avoir piraté l’épreuve n’était pas bien ou pas, c’était juste une info?
B.S (42) : Ca dépendait des exos. On va dire que les gens qui ont piraté les jeux de logique par exemple, on leur envoyait un mail en disant qu’ils étaient tricheurs et on leur redonnait un accès à l’exercice en leur demandant de le refaire sans tricher. Et on a noté qui c’était. Ils nous ont rappelé en disant qu’on était des “méchants” (en utilisant un autre terme) parce qu’on avait pas marqué qu’il ne fallait pas tricher. Mais on n’avait pas marqué non plus qu’il fallait tricher! Donc nous on applique nos règles et à ce jeu là on veut savoir ce que vous pouvez faire. Surtout on leur donne un avantage, vous avez triché, vous avez été malin, vous avez l’avantage de le refaire alors que c’est le même test. Donc résultat des courses, vous devriez avoir un avantage.
N : Le premier but de ces tests était donc la motivation…
B.S (42) : C’est vraiment la motivation, d’éliminer des gens pas motivés. En fait, c’est le principal élément qui est sorti. Si on avait eu plus de gens que ça motivés, on aurait pu utiliser les tests pour éliminer plus de gens.
N : Cela m’amène sur une question d’Alan : pourquoi vous avez mis une limite d’age? Alors qu’aujourd’hui, avec internet, tout le monde apprend un peu à tous les ages.
B.S (42) : Il y a plein de raisons à ça. D’abord la limite d’age vers le bas, les 18 ans. Sait-on jamais, vu qu’on veut faire de la sélection à mort, si quelqu’un se dit “tiens je vais aller à 42, j’arrête mes études”, il se tire une balle dans le pied si il se loupe. La sélection vers le haut, il y a d’autres raisons, ça veut dire qu’ils ont plus de 30 ans, ils ont arrêté les études, ils ont peut-être des enfants, ils vont avoir l’illusion que ça va être facile, etc. et donc ils vont essayer de venir chez nous… Ca veut dire qu’ils faut qu’ils prévoient 3 ans de leur vie où ils ne vont pas forcément s’occuper de leurs gamins, ni de leur femme, ni l’argent qu’il faut pour vivre ça va être compliqué. Faire des prêts étudiants à 30 ans c’est plus compliqué et ya des gens qui allaient se jeter bêtement dans la gueule du loup.
N : Oui parce que c’est une formation à 3 ans à plein temps.
B.S (42) : Oui c’est ça, tu n’as pas le temps de faire autre chose. Résultat des courses, il y a sans doute des gens très bien organisés, qui avaient mis de l’argent de côté, qui aurait pu le faire, j’en suis sur. Mais pour limiter la casse, on a préféré éviter. Et il y avait un autre problème aussi, c’est qu’on sait nous gérer des gamins de 18 ans, on sait gérer des gamins de 25 ans, 27 ans, 28 ans… Mais plus ils sont agés plus c’est compliqué parce qu’on va devoir leur imposer des choses, parce qu’on a une certaine ambiance, parce qu’on va avoir une communauté… donc résultat des courses si d’un seul coup on a des soixantenaires et des personnes de 18 ans qui sont dans la même classe on va avoir des soucis! On a une ambiance bon enfant qu’on va essayer de mettre en place. Des mecs de 45 ans vont dire “excusez les enfants”, en le disant même à nous, “vous me cassez les pieds!”. On va mettre des règles un peu tordues, mais qui ont une utilité. Mais des fois on ne voit pas tout de suite l’utilité, un peu comme dans “Karaté kid” quand le mec lui demande de laver des assiettes, de laver des voitures pour apprendre à faire les mouvements avec les bras en souplesse. Eh bien c’est un peu ça, on a des règles un peu stupides qui vont permettre d’apprendre.
N : Pour parler de la suite, tu as dit qu’il y aurait une sélection toute l’année?
B.S (42) : On a la piscine! Les gens ont fait la première sélection, ils sont venus à un check-in. Pareil ça c’est le moment où on les voit physiquement, c’est-à-dire qu’on leur demande de venir nous voir à Paris.
N : Et il y a une sélection pour le check-in?
B.S (42) : Non, à part venir ou pas venir il n’y en a pas, c’est juste “ils viennent!”, mais ça sélectionne des gens! Il y a des gens “Oh la la, il faut que je monte sur PARIS”. Ok, si tu n’es pas pret à dépenser 100€ pour venir voir ton école, que tu as choisie, qui sera gratuite derrière, ne viens pas! Ca ne sert à rien. Dans les autres écoles, il y a trois jours de sélection, tu dois prendre ton billet de train et pas de discussion. Donc on ne change pas le monde non plus, c’est le moment où on voyait que les gens étaient réels. Après le check-in, ils pouvaient s’inscrire en piscine. Ils choisissent des créneaux de piscine, qu’est-ce que c’est? C’est un mois intensif de C, donc on reprend la base. Deux jours de Bash et puis un mois de C.
Bash et Shell sont des interpréteurs de commande, pour faire simple, c’est ce terminal, cet écran noir avec des lignes de textes incompréhensibles pour le commun des mortels qu’utilisent les développeurs. C est un langage de programmation créé dans les années 70. Il reste aujourd’hui le premier ou deuxième langage le plus utilisé selon le classement TIOBE. Il reste très « rustique » dans son approche car on doit déclarer les emplacements de mémoire à allouer pour chaque variable et libérer cette mémoire une fois le travail fini. Plusieurs langage récents automatisent cette gestion de la mémoire, ce qui simplifie grandement la programmation mais ne permet plus d’optimiser cette gestion en fonction de nos besoins.
N : Ah d’accord donc ce n’est pas du tout des langages récents, web?
B.S (42) : Mais en même temps le C, c’est vraiment une bonne base. C’est-à-dire que quand tu maitrises le C, bizarrement tu fais mieux du PHP. Le jour où il va falloir optimiser, tu vois ce qui se passe derrière, tu comprends ce que va faire ton ordinateur, ton serveur, etc. Tu vois que même si ce n’est pas toi qui gères ta mémoire, tu te dis qu’il doit gérer la mémoire d’une certaine manière et donc il doit y avoir un problème, etc. Même si tu n’as pas de pointeur, les références et tout c’est beaucoup plus clair. Alors que quand tu commences par des langages haut niveau et que tu reviens vers du C, tu t’es toujours baladé, la vie était facile et d’un coup on te retire tout! Il vaut mieux commencer par ras les paquerettes. Alors pourquoi du C et pas de l’assembleur? Parce que là c’est trop ras les paquerettes! En fait le C c’est sencé, à la base, être de l’assembleur portatif. Donc il y a un intérêt à faire du C. Mais surtout l’assembleur ça n’a pas un grand intérêt en soi. Le C a un véritable intérêt. De temps en temps il faut savoir mettre les mains dans l’assembleur. Mais en commençant avec le C derrière on peut aller au C++, on peut aller au C#, on peut aller vers d’autres langages… Alors que l’assembleur, ça ne ressemble pas du tout à un langage classique. Les langages qui peuvent ressembler c’est le Basic, avec des “JUMP” des “GO TO”, des “On va à telle ligne” etc.
N : Ok, donc ça commence par du C et du Shell. De tout de façon dans le C il y aura un peu de Shell. Ne serait-ce que pour compiler.
B.S (42) : C’est ça! Deux jours de Shell et un mois de C, 4 semaines. On leur fait deux jours de Shell pour qu’ils sachent créer des dossiers, faire un gcc etc. Et après c’est parti on leur fait faire du C. Le Shell a aussi un intérêt, car Windows a plein d’abstractions. Moi j’ai connu le DOS, je vois ce que c’est d’exécuter une commande alors que sous Windows on double clique, le problème est réglé! Ou on prend un fichier, on le jette sur notre Word et hop ça ouvre Word avec le fichier. Mais comment ça marche? Le principe des extensions “.txt”, “.pdf”, “.n’importe quoi” en fait c’est juste Windows qui en fait une utilisation abusive. Il n’y a pas besoin de nom d’extension pour ouvrir un fichier. Le fichier normalement à l’intérieur il a déjà des infos. On casse un peu la partie facilitée du monde!
N : Vous supposez que vous avez des gens nés avec un ordinateur, mais qu’il faut qu’ils réaprennent ce que c’est.
B.S (42) : Oui, on suppose qu’ils ont tous un ordinateur.Ils ont tous fait un moment de « l’informatique »… Enfin ils l’ont tous allumé une fois ou deux, ils ont tous branché leur imprimante et ils l’ont installé, ils ont réparé le réseau de la grand-mère, ça on n’en doute pas parce que les geeks aujourd’hui ils font ça. Par contre, est-ce qu’ils ont vraiment regardé comment ça marchait derrière? je ne crois pas. Est-ce qu’ils savent ce qu’est un processus? Je ne pense pas. Ils ouvrent le gestionnaire tâches, ils trouvent le truc qui boguent et cliquent sur “end of task”. Qu’est-ce que ça veut dire que tuer un processus? Tout ça on va leur montrer comment ça marche. Comment on peut faire discuter deux processus ensembles, très très vite on va leur montrer ça!
N : Et alors, s’ils survivent à un mois de C?
B.S (42) : En fait ce n’est même pas qu’ils survivent. Il va y avoir mois de C, pendant ce mois c’est facile : ils vont avoir des exos tous les jours. Ces exos sont corrigés de manière automatisée.
N : Automatisés ça veut dire qu’il respectent des tests que vous avez définis?
B.S (42) : Nous on a des tests chez nous, mais c’est ça l’avantage de l’informatique, je suis pas obligé de leur donner mes tests pour pouvoir tester leur programme.
N : Ils auront un cahier des charges et…
B.S (42) : C’est ça! Mais des trucs tout bêtes hein, c’est refaire quelque chose qui affiche une chaine de caractères à l’écran. On va pas leur demander printf, on va leur demander moins, afficher une chaine de caractère, afficher un nombre à l’écran. Des petites choses toutes simples. Swaper deux nombres en mémoire. Que des petits trucs comme ça, mais ça permet d’apprendre les bases correctement. Savoir gérer les “if”, les étoiles… La moitié des gens vont s’arracher les cheveux, les pointeurs c’est un classique. C’est quelque chose qui a déjà marché à EPITECH pendant longtemps. Nous on va l’utiilser non seulement pour leur apprendre, mais en plus pour les sélectionner.
N : Ils vont apprendre par les exercices? Il n’y aura pas un petit début oratoire ou un petit début de cours en ligne?
B.S (42) : Il y a un petit cours. Nous on leur donne un petit cours, mais justement c’est juste qu’on a pas trouvé des cours pour le C qui correspondent exactement à notre manière d’apprendre les choses. Mais pour tout le reste de l’année, notre objectif c’est de trouver des cours.
N : C’est des cours donnés physiquement, par un vrai prof?
B.S (42) : C’est des cours en vidéo que l’on a filmé nous même. Notre objectif à long terme c’est de faire disparaitre nos vidéos maison. Parce que c’est le principe de communauté, etc. parce qu’on se dit qu’il doit y avoir des gens sur le net qui ont fait mieux que nous. Et surtout on ne comprend pas tous de la même manière, donc si moi je fais un cours de C, il y a peut-être 90% de gens qui vont comprendre et 10% de gens que je vais laisser sur le carreau.
N : Et du coup après, l’équipe pédagogique s’il en reste une aura plus le rôle d’éditorialiser les liens et tout et de les mettre au bon endroit.
B.S (42) : C’est ça, nous notre nom c’est même pas “prof” mais “gentil organisateur”, comme au Club Med. Notre objectif est de faire que ça émulsionne et que ça marche à l’intérieur. On leur donne des exercices, on leur dit quand il faut les rendre, etc. Et d’ailleurs c’est pas nous qui allons les corriger, mais ça je vais y revenir après.
N : Mais pourquoi alors il y a besoin de venir à l’école? Pourquoi on ne pourrait pas faire ça hors de la structure?
B.S (42) : C’est parce que, tout bête, le fait d’être avec d’autres personnes, ça permet des fois de mieux comprendre et de mieux ingérer les choses. Quand on est tout seul, déjà il faut une volonté de fer à mes yeux pour pouvoir travailler chez soi et je pense que les gens qui se sont déscolarisés, ils n’ont pas forcément cette volonté-là. Il y a le côté “on est tous dans la même galère”, ya des gens physiques avec nous, on discute avec eux, on sort fumer une clope, on discute avec eux, ils ont le même problème que toi, toi t’as essayé ça, lui il a essayé ça, il y a un autre qui arrive et qui dit “moi j’ai essayé ça, et ça a marché”. Et hop tu repars essayer avec cette aide… Nous c’est ça qu’on veut créer, c’est vraiment le coté communauté et que sur internet, il est compliqué encore. Malgré les Facebook, malgré les systèmes de discussion “en temps réel” ou autre… Ca ne vaut jamais le fait de croiser le regard de quelqu’un qui est en train de réfléchir à un sujet et de dire “Qu’est-ce qui t’arrive?”. Ils auront le droit d’aller chercher l’information partout. Et donc, correction automatisée et en plus, ils doivent se corriger les uns les autres. C’est-à-dire que tous les jours ils ont deux personnes à corriger.
N : Anonymement?
B.S (42) : Non non, ils savent qui c’est, ils ont accès à leur dépot de rendu, ils vont devoir les corriger et ils vont se faire corriger par deux personnes.
N : Donc dès le début ils se remettent à lire les codes de tierses personnes.
B.S (42) : Voila. Donc il y a des gens qui ne comprendront rien… Pour le moment la moulinette corrige, on a un système automatisé qui va leur mettre une note, mais à ce stade ils ne savent pas la note qu’ils ont. Ils se corrigent entre eux et ils doivent s’approcher le plus possible de la note de la moulinette. Ca ça va leur faire une deuxième note qui va nous permettre de départager les gens qui savent corriger et les gens qui ne savent pas. Autre avantage, quelqu’un qui n’a pas réussi peut corriger quelqu’un qui n’a pas réussi! Même si j’ai pas réussi l’exercice. Parce que corriger quelqu’un qui a réussi l’exercice ce n’est pas compliqué, c’est tester les fonctionnalités. Il n’y a pas besoin de savoir comment est fait Windows pour l’utiliser et vérifier que ça marche.
N : Et puis éventuellement, il peut par curiosité regarder comment ça marche…
B.S (42) : Exactement! Il va pouvoir regarder le code, il va pouvoir demander à son collègue en face comment il a fait. Alors avec 2 ce n’est pas suffisant pour obtenir une bonne moyenne, mais ça permet d’apprendre. Quand on est corrigé par des gens et qu’on corrige, on apprend et cela va être la base de notre éducation, de la manière dont on va éduquer les gens. C’est parce que les élèves vont se corriger entre eux que nous n’allons pas être nécessaire.
N : Mais alors, tu parlais de forte sélectivité… Il n’y a plus de sélection en fait?
B.S (42) : Si! Les piscines, il y en a 3 en fait, 3 fois 800 personnes qui vont venir et à la fin on va prendre trois fois un tiers en fonction des notes, etc. Il est évident qu’il y a des gens qui ont déjà codé avant qui vont mieux réussir, mais ce n’est pas grave, on va s’en arranger. Mais surtout à EPITECH, on a remarqué que ceux qui avaient déjà codé avant avaient en général mauvaises habitudes. Le fait de désapprendre pour réapprendre ça leur prenait tellement de temps qu’ils se faisaient rattraper par les autres voire même doubler! Et surtout il y avait ceux pour lesquels c’était tellement facile qu’ils n’apprenaient pas, ils n’arrivaient pas à lancer la machine d’apprentissage et donc dès qu’ils tombaient sur quelque chose qu’ils ne connaissaient pas, ça ne rentrait plus.
Il ne faut pas oublier un détail super important, il y a des gens qui codent depuis 5 ans, mais qui codent comme des pieds et ça leur a pris 5 ans à coder à peu près correctement. En général en FAC, les pointeurs on les voit au bout de 6mois–1an, et là on va les voir au bout du 4e jour. Donc on va les rattraper très vite les gens qui ont déjà codé avant un petit peu!
N : Et après la piscine, pendant les 3 ans, c’est pareil? C’est au fur et à mesure?
B.S (42) : Pendant les 3 ans c’est pareil. Mais cette fois ils ne vont pas corriger que 2 personnes par projet, mais 5! Il n’y a pas de projets tous les jours, mais à rendre toutes les semaines, toutes les deux semaines. L’idée derrière ça c’est qu’ils vont apprendre tous ensemble dans la joie et la bonne humeur. Une fois qu’on a sélectionné 800 personnes, normalement on a des gens valables pour le peer-correcting et ça devrait rouler tout seul.
N : Et au niveau des choix des projets?
B.S (42) : Au début il n’y a pas beaucoup de choix de projets, il faut les faire tous. Et puis petit à petit plus on avance vers la fin de la 3e année il y a plus de choix.
N : Au niveau des langages?
B.S (42) : On va faire du C jusqu’en février et derrière on décolle vers du C++, de l’assembleur, mais encore une fois, pour moi, quand des gens me demandent “c’est quoi ton boulot?”, je dis “je suis programmeur”, ils répondent “mais tu programmes en quoi?”. Je trouve que c’est la question la plus stupide du monde parce je programme en ce que tu veux. A nos yeux, en FAC ils voient un tas de choses, mais ils ne comprennent rien parce qu’ils survolent. En 4 langages je peux t’expliquer 99% des paradigmes. Le C c’est pour le procédural, le C++ pour l’objet, le Lisp pour le fonctionnel, Le Python pour la mémoire déjà gérée.
N : donc par contre ça ne forme que des programmeurs. Ca ne forme pas des gens qui seront capables, en tout cas qu’avec cette formation, de faire de l’architecture…
B.S (42) : Ah si! En fait justement, parce qu’à mes yeux quand on sait programmer, on sait architecturer du code.
N : Et réseau?
B.S (42) : C’est pareil, c’est tout bête d’architecturer le réseau quand on sait comment fonctionne une carte réseau. Parce qu’on va beaucoup leur faire aussi du code réseau. Faire un programme qui discute, on se rend compte de ce que c’est des sockets. On va leur faire des programmes en TCP et autre… Et là il vont se rendre compte que les paquets n’arrivent pas forcément à destination. On va leur faire des tests en brouillant la carte réseau pour voir si leur programme continue de tourner. C’est une notion à apprendre, mais ça s’apprend vite! On va former des gens débrouillards. On va former des gens qui vont chercher sur Google! Moi j’avais monté une section dans une école, Isart Digital, une école qui fait du jeu vidéo en l’occurrence, j’avais monté la section programmation. On était deux, on a tout fait : on a fait les dump, on a fait le réseau, on a fait le système d’accès au contenu depuis n’importe quel ordinateur, etc. C’est pas forcément un problème même si l’on est pas admin système, parce que quand on est débrouillard, quand on sait comment fonctionnent les choses, on sait ou chercher rapidement, on a les infos très vite et surtout on a plein d’amis! Enfin, j’ai un ami admin sys, donc je lui pose une question, il me dit où aller voir. A nos yeux la grande force aujourd’hui c’est d’être débrouillard. Le gros problème qu’a l’éducation nationale aujourd’hui c’est qu’elle ne forme pas des gens débrouillards, elle forme des gens qui répètent. Un des paradigmes auquel on croit aujourd’hui c’est que l’économie n’est plus une économie de connaissance, mais une économie de l’innovation. Les connaissances il y en a partout sur le net donc au final aujourd’hui ce qui fait de l’argent c’est innover. Et personne ne va te donner la solution de ce qui va te permettre d’innover.. Il va falloir que ton cerveau marche et que t’aille dans le bon sens. C’est souvent de la débrouillardise, de la compréhension des choses, mais pas forcément de la connaissance.
N : La personne dont on a le plus entendu parler, Xavier Niel, il a participé à tout ça?
B.S (42) : Oui, lui c’est le mécène, il a mis de l’argent sur la table et il a
mis une tape dans le dos de N. Sadirac en lui disant “fonce!”. Et
depuis il suit le projet.
N : Par contre toutes les autres personnes que l’on a pu croiser là?
B.S (42) : Tout le monde participe un peu a tout. Forcément on peut pas tous tout faire. on était pas très nombreux en Février, on était trois dans une salle.
N : Et vos profils?
B.S (42) : On est tous grosso modo des anciens de l’EPITECH, profs ou dev pur et durs. Après il y en a qui sont parti ailleurs. Moi j’ai été dans le jeu vidéo, j’ai travaillé sur RUSE. Et après j’ai essayé de fonder une section dans une école Isart Digitale. Mon objectif était d’abord de faire des développeurs d’élite et après de les spécialiser dans le jeu vidéo.
N : Vous aviez des sources d’inspiration? Niveau cours en ligne, il y a de plus en plus de choses qui se font, surtout à l’étranger.
B.S (42) : Surtout à l’étranger oui. Non, on a pas vraiment d’inspiration. L’EPITECH ça fait plusieurs années que ça existe, on a repris l’expérience du truc, qui s’est amélioré petit à petit en interne et on a encore essayé de raboter des endroits, d’améliorer. Justement une des raisons pour lesquelles on a créé 42 c’est parce qu’il y a des endroits où l’on n’arrivait pas à raboter à EPITECH pour des raisons au-dessus, histoire d’argent, etc. Ils sont partis en disant qu’on voulait faire quelque chose de mieux. Mais l’EPITECH c’est bien.
N : comment avez-vous fait le lien entre candidature et blog? (Je n’avais pas fait la candidature sous le même nom)
B.S (42) : Les exercices étaient générés au hasard et avaient donc une clé unique. Du coup avec les captures d’écran du blog il était facile de remonter à l’identité d candidat.
N : Autre chose?
B.S (42) : On sait pas encore où l’on va précisément, c’est le début de l’aventure. Notre objectif c’est de faire de l’élite, vraiment de sélectionner.