Ceci est une reproduction du dossier 148 de PodcastScience, n’hésitez pas à aller le lire à la source!
Ces jours-ci revient en France le froid. Vous savez, cette joyeuse sensation qui nous amène à interchoquer nos dents les unes contres les autres pour, dans un rythme frénétique, annoncer que tous nos muscles se contractent à l’idée de retrouver ce climat! Pourtant, il y a quelques mois encore, c’est le front gluant que nous rêvions de glace, de cette eau rendue solide qui viendrait retrouver son état liquide en nous apportant un apparent soulagement.
Ce goût pour le froid n’est pas si nouveau, on trouve des traces de l’engouement humain pour la fraîcheur plus d’un millénaire avant notre ère en Chine. C’est pourtant au XIXe siècle que le froid devient une industrie à part entière, arrivant en 1880 à une consommation de l’ordre de 5 tonnes de glace chaque jour aux États-Unis! Pourtant, le réfrigérateur, dont nous parlerons dans ce dossier n’est arrivé que tard, à la fin de ce XIX siècle! Alors, que voulait dire « industrialisation de la glace »? La chose est relativement simple… En hiver, tels des chercheurs d’or, on se rue vers les zones froides, par exemple dans cette partie du globe dessinée avec amour par Slartibartfast. On y découpe de bon gros morceaux de glace. Plus c’est gros, plus ça se vend cher (et accessoirement moins cela fond vite). Les moins malins stockent ces morceaux énormes de glace dans des camions et bateaux et les acheminent vers des régions trop chaudes pour connaître l’or froid (soyons clair, il n’a jamais été appelé comme cela à ma connaissance mais j’avoue que la lecture du livre qui m’a servi entre autre à construire ce dossier me donne envie de créer le terme). Les plus astucieux, eux, stockent la glace dans une glacière (ou autre trou ne laissant pas la chaleur s’échapper) pour attendre l’été où la demande de glace est à son paroxysme. Enfin, les plus doués comprennent que la glace est une matière première, une source de froid, une source de conservation des aliments! Car oui, si aujourd’hui vous pouvez consommer des fruits venant de l’autre coin du globe, trouver des framboises à toute période de l’année ou encore ne pas tomber malade à chaque dégustation de poisson c’est bien grâce au froid! La plupart des micro-organismes responsables de la moisissure cessent en effet de se développer voire meurent avec la congélation, ce qui permet à ces aliments d’augmenter largement leur durée de vie (comme on peut le lire et le voir sur ce formidable article illustré qui explique surtout pourquoi il ne faut pas casser la chaîne du froid!)
Pourquoi donc la glace crée-t-elle du froid?
Cette question toute bête est en fait extrêmement compliquée et on ne va hélàs pas la couvrir en un seul podcast. Mais promis, je reviendrai parler de chaleur à l’occasion. Elle est compliquée parce qu’il faut comprendre plusieurs choses (et cela a pris plus d’un siècle)! D’abord, il faudrait s’entendre sur ce que veut dire “créer du froid” et se rendre compte que ça ne veut en fait rien dire ; on viendrait alors à dire qu’en fait on perd plutôt du chaud ou pour être précis, que la température diminue. C’est alors que le mot interdit est lâché: “température”… La température, aussi simple qu’elle puisse nous paraître a mis beaucoup de temps à être définie scientifiquement et la définition mériterait elle aussi un épisode à part entière, ce que je vous prépare pour… Un jour.
Autour de nous se baladent un grand nombre de particules, un peu comme un grand super marché à une heure de pointe, tout le monde va dans n’importe quelle direction sans trop se soucier des autres. La température est en quelque sorte une mesure de cette agitation. Et alors ce qui doit arriver arrive, des particules se rentrent les une dans les autres! Cet acte de pur violence dégage de l’énergie (si on garde l’image du magasin, c’est le “Connard” ou encore “Malotru” que vous entendez parfois lorsque par mégarde vous enfoncez votre épaule dans le bras chétif de ce malheureux inconnu…). Cette énergie dégagée par les différents chocs crée ce que l’on appelle la chaleur. Je n’irai pas plus dans les détails pour le moment, un livre passionnant en référence comblera les plus pressés sur ce sujet, sinon il faudra attendre mon dossier, vous savez le plus important pour celui-ci.
Ce qu’il faut retenir, c’est que c’est un joyeux bordel. Des particules gigotent dans tous les sens, se rentrent dedans et cela crée la température. On voit aussi que ce beau lever de soleil paisible en pleine nature est en fait une anarchie de particules qui refusent de rester en place. N’allez pas pour autant croire que je suis en train de ruiner toute la poésie de la scène. Imaginez donc ce paysage de particules tout le temps renouvelé, prenant sans cesse de nouvelles positions… En fait la différence entre le beau paysage paisible que vous appréciez et la guerre que je décris est une question de point de vue : à l’échelle macroscopique, celle de tous les jours, nous sommes à l’équilibre alors qu’à l’échelle microscopique, les particules peuvent prendre un très grand nombre de positions différentes.
Boltzmann, un physicien un peu poète a proposé de compter ce nombre de positions microscopiques qui définissent ce même état macroscopique. Il propose même de nommer ce nombre “entropie” mais que l’on nomme plus communément “mesure du bordel”. En effet, plus un équilibre est donné par un grand nombre d’états microscopiques plus il y a un bordel sous-jacent important. A titre d’anecdote, cette définition de l’entropie de Boltzmann est tellement importante qu’elle est inscrite aujourd’hui sur sa tombe. Etant donné l’approche de la température dont je viens de vous parler, vous imaginez sans problème qu’il doit y avoir un lien entre l’entropie et la température. En fait, c’est par ce biais qu’a d’abord été définie cette grandeur. Une dizaine d’années avant Boltzmann, Clausius donne une autre définition de l’entropie comme le rapport entre la chaleur et la température.
L’entropie selon Clausius (et qui en fait correspond tout à fait à celle de Boltzman) est donc définie par la formule où Q est l’échange de chaleur et T la température.
Vive le bordel
Maintenant que l’on a une vague idée de ce qu’est le chaud, qu’on sait que le monde est en fait un joyeux bordel au niveau microscopique, il serait peut être temps de répondre à la première question : pourquoi donc quand je mets un gros bloc de glace sous ma couverture, il fait soudain très froid? C’est vrai, on se fait peu la remarque mais il aurait pu en être tout autrement: au lieu de fondre, d’inonder mon matelas et de glacer mon environnement, ce joli bloc de glace aurait pu dans un autre monde (le monde de Nico?) grossir en devenant de plus en plus froid pendant que mon lit deviendrait de plus en plus chaud. Pour l’instant, on n’a aucune raison valable de supposer que la chaleur aime aller titiller la glace et la faire fondre….
Heureusement, la nature a bon goût, elle aime le bordel! En effet, le deuxième principe de la thermodynamique explique que toute transformation d’un système fermé fait augmenter l’entropie. En somme, il est IMPOSSIBLE, sans travail, que votre chambre se range toute seule selon le second principe (si seulement j’avais eu cet argument à l’époque!).
Revenons à nos échanges de chaleur. Considérons donc le système « lit et bloc de glace ». C’est ce qu’on va appeler un système isolé, c’est à dire qu’on va considérer qu’il ne transmet ni ne reçoit rien de l’extérieur (vous considérez que vous êtes dans votre petit cocon bien protégé dans votre lit? C’est le même principe). Dans ce cadre, le premier principe de la thermodynamique nous dit que l’énergie du système reste constante. Or notre système ne subit que des échanges de chaleur : il y a la chaleur émise ou reçue par le bloc de glace et celle émise ou reçue par le lit. Comme il n’y a que cet échange de chaleur et que notre système est isolé, le premier principe nous apprend que les échanges de chaleur se correspondent. C’est à dire que si le bloc de glace transmet de la chaleur, l’intégralité de cette chaleur est reçue par le lit et inversement si c’est le lit qui transmet de la chaleur, l’intégralité est captée par le bloc de glace. Ce que l’on écrit en équation :
Considérons alors l’entropie de notre système, sa variation est égale à la somme des rapports de chaleur et température (vu qu’il n’y a aucun autre travail ou apport d’énergie) :
Cette formule toute simple explique à elle seule que le transfert de chaleur ne peut se faire que dans un sens! Si la température de la glace est inférieure à celle du lit (je vous souhaite que ce soit le cas), alors la différence des inverses de température est positive. Or, comme selon le second principe, l’entropie ne peut qu’augmenter, il faut forcément que (la chaleur que reçoit la glace) soit aussi positive : la glace ne peut que recevoir de la chaleur du lit si sa température est inférieure à celle du lit !
De la manière de s’y prendre…
Nous sommes à mi-parcours de ce dossier où je suis censé vous raconter comment fonctionne un frigo et je viens de vous prouver qu’il est impossible d’avoir quelque chose de froid qui en présence d’une source chaude devient de plus en plus froid… Il serait plus que temps de crier à l’arnaque et de me mettre la tête dans votre congélateur (pensez à bien prendre une photo et la nommer 241543903.jpg) !
Rassurez-vous, tout ce que j’ai dit est bien sur juste et pour arriver au miracle du frigo, il va falloir se mettre au « travail ». Jusqu’alors on a parlé de systèmes qu’on laissait vivre tranquilles, sur lesquels on n’agissait pas. Or, votre frigo est branché au courant, il a besoin d’énergie pour fonctionner et c’est cette énergie qui va nous permettre de lutter contre le bordel naturel.
Malgré tout, ce second principe nous montre qu’on ne créera pas du froid par un transfert direct d’une source froide à une source chaude; il va falloir être plus malin.
Il existe heureusement des moyens de faire changer la température sans aucun échange de chaleur. Reprenons notre image du début, vous êtes dans un supermarché à une heure de pointe, la température correspondait grosso-modo à l’agitation et aux collisions dans ce supermarché. Imaginons maintenant que l’on soit le jour de la sortie du merveilleux livre de Podcast Science (disponible dans toutes les bonnes librairies), le nombre de personnes présentes augmente alors sensiblement sans pour qu’il y ait davantage de place à disposition. Ainsi, non seulement l’agitation augmente, mais avec plus de monde dans autant de place, le nombre de chocs entre ces fantastiques auditeurs venus se procurer le livre augmente sensiblement.
Dit en termes thermodynamiques, si l’on fait varier la pression d’un gaz, tout en ne modifiant aucun autre paramètres, on fait augmenter sa température! Et inversement, si on fait baisser la pression, la température baisse. En fait, pour le modèle “idéal” de gaz, si les autres paramètres sont fixés, l’augmentation de la pression est directement proportionnelle à l’augmentation de la température.
Le frigo, le frigo, le frigo!
Alors c’est bien beau toutes ces digressions sur le froid mais il est temps de révéler le secret!
Vous l’aurez remarqué si vous écoutez souvent votre frigo, cette machine s’allume et s’éteint régulièrement, cela s’explique tout simplement parce qu’un frigo en fonctionnement fabrique perpétuellement du froid, du coup quand la température désirée est atteinte, on arrête le processus et on le laisse en mode glacière. Pour obtenir cette fabrication perpétuelle de froid, sans consommer un “carburant” qui subirait des transformation, refroidirait le frigo et irait se déverser dans les égouts, vos frigos fonctionnent en cycle, c’est à dire qu’un fluide circule, subit plusieurs transformations et échanges de chaleur jusqu’à revenir à son état initial.
Quelles sont donc ces différentes transformations? Rappelons nos armes à ce stade :
- Si l’on a une source chaude en contact avec une source froide, de la chaleur passe naturellement de la source chaude à la source froide ;
- Si l’on joue avec la pression, on peut faire varier la température.
Il ne nous reste plus qu’à jouer avec tout cela pour fabriquer le frigo. Pour créer un espace froid à l’intérieur du frigo, il faut capturer de la chaleur. Comme on a pu le voir, la seule manière de faire cela est de faire passer un fluide qui soit plus froid encore que l’intérieur du frigo. À titre anecdotique, un frigo étant autour de 4°C et un congélateur inférieur à –12°C, on ne pourra pas utiliser de l’eau pour servir à refroidir… Pour refroidir suffisamment le fluide, il faudra donc faire baisser la pression. A ce stade, on a presque un frigo; si l’on a un fluide qui arrive, on fait une détente pour faire baisser sa température et on le fait passer à l’intérieur du frigo pour qu’il capture la chaleur.
Pour réussir à fermer le cycle, il faut que le fluide en question puisse dissiper son surplus de chaleur. Et encore une fois, le seul moyen de le faire est de le mettre en contact avec une source plus froide qu’il réchauffera. Nous n’avons que deux environnement à notre disposition : l’intérieur du frigo et l’extérieur du frigo, la cuisine! Ainsi, votre frigo dégage dans la cuisine toute la chaleur qu’il capture à l’intérieur. Plus le frigo fait du froid plus il chauffera la pièce où il est installé!
Il nous manque donc l’étape qui permet de faire passer un fluide réchauffé par l’intérieur du frigo (donc avec une température peu élevée) à une température plus élevée que celle de la cuisine, en augmentant la pression!
Pour résumer, cette machine de guerre fait baisser la pression d’un fluide pour atteindre une température plus faible que les 4°C désirés. Le fluide passant dans la “glacière” du frigo capte de la chaleur et fait donc baisser la température de l’intérieur. Une fois sorti du frigo, le fluide est compressé pour atteindre une température plus élevée que celle de la salle où est installé l’appareil ménager, grâce à cela, il peut dégager la chaleur qu’il a capturé à l’intérieur du frigo. Et ainsi de suite tant que le frigo est allumé!
Mais comment donc que ça démarre?
Une des choses qui m’a le plus perturbé lorsque j’ai découvert la thermodynamique est de comprendre comment tout cela commençait. C’est bien beau d’avoir un cycle, c’est bien beau toutes ces transformations, mais quelle est l’opération magique qui permet de mettre tout cela en fonctionnement?
D’autant plus que d’après le premier principe, l’énergie se conserve et comme l’on a un cycle, l’entropie du début est la même que l’entropie de la fin! En fait, l’entropie et l’énergie sont ce que l’on appelle des “fonctions d’état”. C’est à dire qu’elles ont une valeur parfaitement déterminée par l’état du système. En revanche, la puissance nécessaire pour augmenter la pression ou pour faire baisser la pression, que l’on appelle “travail” dépend de comment on s’y prend. Dans le cas du frigo, la puissance nécessaire pour comprimer le fluide est plus importante que la puissance que fournit le même fluide en perdant de la pression, du coup, il est indispensable de fournir de l’énergie pour que ce cycle fonctionne. L’énergie est fournie grâce à un moteur qui fait non seulement circuler le fluide dans le cycle mais sert aussi à le compresser.
Et si on rembobine?
Le réfrigérateur, aussi connu sous le nom plus explicite “pompe à chaleur” nécessite donc qu’on lui fournisse une certaine puissance pour qu’en pompant la chaleur, il fasse diminuer la température à l’intérieur du frigo. Une chose tout a fait remarquable est que ce cycle peut fonctionner en sens inverse et fournit alors de l’énergie!
Imaginons maintenant que notre source chaude, la cuisine, réchauffe le fluide en lui transmettant de la chaleur, que le fluide perde ensuite en pression (au lieu d’être compressé, il perd en pression) et fournisse par ce biais un certain travail. Le fluide est ensuite refroidi par l’intérieur du frigo – qu’on va encore supposer d’une température plus faible que la pièce – et qui enfin se voit compressé sans autre travail fourni que l’entraînement des étapes précédentes. Un frigo monté à l’envers, sur le papier du moins, pourrait donc fournir de l’énergie. Pour autant, n’essayez pas de trafiquer votre précieux engin car il faudrait une différence de température et des niveaux de pression bien plus élevés que ceux pour lesquels il est conçu pour que vous puissiez observer quelque chose et surtout pour que ça marche.
Par contre, dans un autre objet technologique très développé, on observe ce type de cycle : le moteur diesel! La combustion du carburant réchauffe l’air quasi-instantanément, le piston en bougeant fait diminuer la pression du fluide, ce fluide est ensuite refroidi puis enfin, par entraînement, le piston compresse de nouveau le fluide pour l’amener à une nouvelle explosion! Si le fonctionnement est assez différent, on a les opérations inverses du réfrigérateur. Ces cycles combinant deux échanges de chaleur, une compression et une détente sont appelés cycles de Carnot et sont le modèle théorique associé à toute machine “thermique”!
Biblio :
- « Refrigeration Nation » de Jonathan Rees : l’histoire du commerce du froid aux états-unis. Très intéressant même s’il contient très peu (voire pas du tout) de science.
- « Réflexions sur la puissance motrice du feu » de Sadi Carnot : un des livres de base de la thermodynamique. C’est un « vrai » livre de science par un scientifique (le même Carnot que pour les cycles de Carnot) mais ça reste tout à fait lisible par n’importe qui. Si vous voulez des détails, foncez!
- « Inventing temperature : Measurement and scientific progress » de Hasok Chang : la formidable histoire de l’invention de la notion de température. Sans doute l’objet d’un prochain dossier mais si vous êtes impatients…