Cet article est un dossier pour PodcastScience épisode 201, n’hésitez pas à vous y balader sur le site www.podcastscience.fm!
Les nombres ont passionné et passionnent plus d’un mathématicien. On pourrait croire que ces nombres sont figés dans le marbre depuis la nuit des temps mais il n’en est rien! Nous avons pu d’abord découvrir que le zéro a mis un temps considérable avant d’être utilisé, que des personnes sont morts pour les irrationnels et même que des nombres bizaroïdes permettent de différentier les infinis.
Pourtant, pour beaucoup d’équation, tout s’est arrêté (et a commencé) grâce à un un simple petit nombre qui, comme nous allons le voir dans ce dossier, est loin d’être aussi imaginaire que son nom le laisse croire… Je parle bien de i, la racine carrée de –1
Une vraie “découverte”
Il y a un vrai débat parmis les mathématiciens et autres historiens des sciences, est-ce que l’on découvre des concepts mathématiques ou est-ce qu’on les invente? Dans le cas du nombre imaginaire, je pense que l’on peut parler de découverte tant il est apparu alors que personne ne voulait bien en entendre parler.
Vous le savez pour en avoir probablement souffert, les mathématiciens adorent résoudre des équations et parmis ces équations, les polynomes ont occupé un très grand nombre de mathématicien. Un polynome c’est une équation qui fait intervenir une inconnue x et ses puissances, par exemple
ou
Plus on monte la puissance de x, plus ces équations semblent difficilent à résoudre (vous savez probablement résoudre la première par exemple alors que la deuxième…). A l’école, vous êtes allés jusqu’au degré 2, c’est à dire jusqu’aux équations qui faisaient apparaitre x à la puissance 2. Ce sont les fameuses équations de la forme
On vous avait donné la formule magique pour la résoudre grâce à un certain delta, aussi appelé “déterminent”. Au final on a deux solutions de la forme :
et bien sur pour cela il faut que , le déterminent soit positif, sinon on ne peut pas prendre sa “racine carrée”. Eh oui, aucun nombre multiplié par lui même ne donne quelque chose de négatif!
Avoir une formule, une recette de cuisine pour résoudre à la volée une équation est un vrai graal, surtout à notre époque où l’on peut expliquer à des ordinateurs comment faire ces calculs fastidieux. Du coup vous imaginez bien que l’on ne s’est pas arrêté là, et l’étape suivante c’est le degré 3! Il existe aussi des formules pour le degré 3 (et en toute franchise si on vous en parle pas, c’est qu’elles sont assez affreuses…) :
Cette équation de degré 3, très générale, s’est avérée trop complexe à résoudre alors des mathématiciens comme Cardan se sont intéressés à une version dégradée :
Cardan propose donc une solution à l’équation dégradée sous la forme
Rassurez vous, je ne vous parle pas de ces équations affreuses pour le plaisir e vous donner mal au ventre, d’autant qu’elles n’ont pas grantd intérêt si l’on n’a pas besoin de résoudre des équations de degré 3. Il se trouve que pour certaines valeurs des coefficients de l’équation, on se retrouve avec le plus petit que zéro et donc avec une racine carrée négative. On pourrait alors penser que comme pour le degré 2, il suffit de dire que ces cas n’ont pas de solutions. Mais certains mathématiciens ont remarqué quelque chose d’étrange… On a une racine carrée négative, soit, on va quand même essayer de faire le calcul et au final ils se rendent compte que les racines carrées négatives s’annullent entre elles et trouvent bien une valeur pour x. Qu’à cela ne tienne, ils testent cette valeur et il s’avère qu’elle est une bonne solution… toujours! En passant donc par un nombre bizaroïdo-impossible, racine carrée de –1, ils obtenaient des bonnes solutions à leur équations.
Pour rappel, à l’époque on avait déjà un peu de mal avec les nombres négatifs car on n’avait pas d’interprétation suffisament satisfaisante. En gros on ne savait pas trop ce que voulait dire manger –3 parts de pizza… Alors la racine carrée d’un de ces nombres négatifs, autant vous dire que ça ne plaisait pas.
Et pourtant on peut faire des calculs, beaucoup de calculs
Cardan ne fut pas le seul à se rendre compte qu’aussi absurde que paraisse racine carrée de –1, que j’appellerai i, le nombre imaginaire, il permettait quand même de faire des calculs. Pire encore, il simplifiait même pas mal de problèmes… Car par définition, si on multiplie la racine carrée de –1 par elle même, ça donne –1! On sait aussi l’aditionner et le multiplier avec d’autres nombres en appliquant les règles usuelles et pour peu qu’il s’annulle a un moment où à un autre, on peut l’utiliser ni vu ni connu pour résoudre nos problèmes. Ca marche, c’est parfois même plus simple qu’en sans passant mais on a aucune idée de pourquoi on a le droit de faire ce genre de truc contre nature.
Ce n’est pas sans rappeller cet époque où les calculs astronomiques étaient faits avec le zéro qu’on se dépéchait bien de supprimer des résultats tant il paraissait dénué d’explication physique.
Reste qu’entre le fait, très pratique que son carré fait –1 et que l’on sait utiliser les opérations usuelles, tout un tas de formules furent trouvées, en particulier l’équation considérée par beaucoup comme la plus belle équation des mathématiques, l’équation d’Euler, car elles fait apparaitre tous les nombres les plus importants en mathématiques : l’exponentielle, le nombre imaginaire i (la racine carrée de –1), pi, 1 et 0.
Après, qu’est-ce que pouvait bien vouloir dire la puissance complexe d’un nombre? Personne ne savait trop dire à l’époque… on peut juste vous dire qu’élevé à la puissance i fois pi, si on ajoute 1, ça fait zéro! En fait Euler a même montré une chose encore plus bizarre,
eix = cos(x)+isin(x)
Donc en fait il y a un lien entre la puissance complexe de l’exponentielle et des fonctions cosinus et sinus que vous connaissez depuis l’école (et que les mathématiciens de l’époque connaissaient depuis longtemps). Si vous êtes comme moi, la trigonométrie vous a laissé le souvenir de ces formules impossibles à retenir, dont on n’arrivait pas à savoir de quel esprit malade elle sortait, comme
Imaginons que la puissance complexe soit comme la puissance usuelle, celle que vous avait appris à l’école (ce n’est pas tout a fait le cas, mais ça n’a pas d’importance ici) et que donc on sait que
Rappelez vous, c’est tout bête dans le cas des entiers, 23 c’est 2x2x2, 2 multiplié par lui même 3 fois, et 25 c’est 2x2x2x2x2 soit 2 multiplié par lui même 5 fois. Donc le produit des deux c’est 2(5+3), soit 2 multiplié par lui même 5+3 fois.
Si l’on retraduit ça avec l’équation d’Euler on obtient d’un coté :
et de l’autre
Si l’on regroupe d’un coté les éléments multipliés par le nombre imaginaire i et de l’autre ceux qui ne le sont pas, on retrouve les équations précédentes, en faisant de simples produit entre eux. Alors certes c’est mon dossier avec le plus d’équations mais avouez que comprendre les formules qui ont hanté votre jeunesse grâce à un simple nombre imaginaire est quand même fou!
Reste qu’à ce stade, on peut croire que i, le nombre imaginaire n’est qu’un truc amusant et qui ne sert pas à grand chose (sensation que vous devez souvent avoir dans mes dossiers). Comme nous allons le voir tout de suite, les nombres complexes ont une interprétation géométrique bien plus forte et élégante que n’a jamais pu avoir le zéro ou les nombres négatifs.
L’idée qui révèla la beauté
On se retrouvait donc avec un nombre imaginaire et des nombres complexes qui, bien que paraissant bien pratiques, paraissaient aussi bien dénués de sens… Les nombres complexes sont tous les nombres que l’on peut composer a partir des nombres usuels et du nombre imaginaire, c’est a dire comme 3+4i, 5+7i, etc., la somme d’un nombre “réel” et d’un nombre “imaginaire”, produit d’un nombre réel et du nombre imaginaire i. Comme on pouvait pas vraiment marier un nombre usuel, tel 5 et un nombre imaginaire tel 7i pour en faire un autre nombre, Wessel eu l’idée de représenter ces nombres sur le plan, avec l’axe horizontal pour les nombres réels, les nombres usuels, et l’axe vertical pour les nombres imaginaires, les nombres réels multipliés par i.
Cette idée toute bête allait tout changer, car elle donnait une magnifique interprétation géométrique à cet étrange objet! Ca change tout parce que non seulement ça donne un sens à i (un point sur l’axe vertical) mais surtout ça donne un sens à la multiplication par i. Si l’on prend un nombre réel (de l’axe horizontal) et qu’on le multiplie par i, il appartient maintenant à l’axe vertical : comme s’il avait fait une rotation de 90°!
Et ce n’est pas qu’une impression, rappelez vous, i2=–1, c’est la base de tout ce qui étonnait tout le monde. Et que donnent deux rotations successives de 90°? Une rotation de 180°, c’est à dire une symétrie par rapport au centre, l’opposé du point précédent. Le fait que i2=–1 deviens logique et naturel et s’explique merveilleusement géométriquement!
A partir de ce moment s’ouvre toute l’ingéniosité et la beauté des nombres complexes, prennez par exemple les polynomes, ces équations afreuses dont je vous parlais en début d’exposé, par exemple un simple polynome de degré 3 :
et cessez de penser nombre et pensez rotations : une rotation appliquée trois fois qui donne la rotation d’angle 0° (quand on multiplie un nombre par lui même, le nombre ne change pas, donc pas de rotation). Eh bien on a bien sur la rotation d’angle 0° (c’est à dire 1), la rotation d’angle 120° (120°x3=360°) et la rotation d’angle 240° (240°x3=720°=360°*2) c’est à dire les nombres complexes correspondant à une rotation d’angle 0, 120 et 240°. Non seulement cette équation trouve des nouvelles solutions mais elles apparaissent comme évidentes! La géométrie se marie d’un coup avec l’algèbre.
En fait, il est fort a parier que si les grecs avaient découvert cette interprétation des nombres complexes, ils l’auraient trouvé bien plus évidente que l’interprétation d’un zéro ou d’un nombre négatif!
Et ça sert vraiment à quelque chose?
Je suis toujours amusé de découvrir que tant de personnes pensent que les nombres complexes sont un truc obscur qui ne sert à rien. En fait, je ne vois pas d’application dans lesquels ils posent des calculs et où ils n’interviennent pas. Ils sont indispensable en électricité, en traitement d’images où même dans les équations de la relativité générale! Ce n’est pas un hasard, ces nombres là manquaient.
Quand je dis “manquaient” c’est au sens mathématique bien sur. Quand on fait des sciences ou que l’on essaie plus généralement de résoudre un problème à l’aide d’équations, on est amenés à opérer des additions, des soustractions, des multiplications avec la fameuse inconnue x. Si bien que l’on se retrouve très vite avec les fameux polynomes, ces équations faites de puissances de x. Or, avec les nombres (qui vous paraissent) usuels, certaines de ces équations, même très simples n’ont pas de solution :
La solution est ici bien sur i. On peut alors se demander si avec les complexes, ces nombres construit grâce à i et aux nombres réels on s’en sort mieux ou si l’on résoud seulement une équation de plus, pas très folichon. En fait, le Théorème fondamental de l’Algèbre répond à cette question :
“Toute équation polynomiale a au moins une solution dans les nombres complexes”
Savourez la beauté de la chose, ce n’est pas un de ces théorème qui vous demande de respecter 50 conditions compliquées, non, celui-ci se contente de dire “toute équation a une solution, bisous”. Pas besoin de rajouter d’autres nombres, notre ensemble est enfin clôt (c’est le terme mathématique), il admet des solutions à toute équation! En fait c’est même encore plus fort que ça, si vous réfléchissez un peu au problème, vous vous rendrez rapidement compte qu’un polynome de degré n ne peut pas avoir plus de n solutions et ce théorème affirme que dans les complexes il y en a exactement n!
Plus encore, le fait que les nombres complexes soient intimement liés aux rotations et aux ondes (les sinus et les cosinus) les rendent extrêmement utiles dès que l’on à faire à des ondes. Or, rappelez vous mon épisode sur la transformée de Fourier, tout est onde et les ondes sont utilisées partout, autant vous dire que donc, les nombres complexes sont, au moins, utilisés dans autant d’endroits!
Ce n’est alors pas étonné s’il n’y a pas si longtemps, quelques dizaines d’années, toute personne ne pensait que dans les nombres complexes a moins qu’on lui ai précisé explicitement que l’on voulait se “limiter” aux réels! En fait, il est même très courant que pour simplifier un problème, on le complexifie (oui, les termes ne sont pas très heureux), c’est à dire qu’on transforme les grandeurs réelles du problème en grandeurs complexes pour simplifier les calculs: Aujourd’hui, même si peu s’en rendent compte, aucun scientifique n’imaginerai faire ses calculs sans les complexes.
Quelques références
Malgré mes recherches, je n’ai pas trouvé un bon livre facile d’accès sur le sujet. Le meilleur moyen d’en savoir plus est alors sans doute les blogs et autres références web. D’abord, le bon Eljj a fait plusieurs articles sur le sujet qui sont regroupés ici. Wikipedia possède ausssi plusieurs pages sur le sujet comme la générale Nombres Complexes ou celle plus sur l’histoire de ces nombres.