The imitation game – Raconter les sciences

En ce moment, les amoureux des sciences sont gâtés avec deux films sur deux très grands scientifiques : Stephen Hawking raconté dans « The theory of everything » et Alan Turing dans « Imitation Game« .

NOTE : Pas de réel Spoil, sauf si vous ne connaissez pas la vie des deux scientifiques (et que vous ne souhaitez rien savoir avant d’aller voir le film).

Dans les deux cas, beaucoup de choses à raconter à la fois sur le plan humain et scientifique. Hawking a trouvé un moyen d' »observer » les trous noirs (qui comme leur nom l’indique, sont censés être invisibles) et a une maladie dramatique qui progressivement depuis des dizaines d’années lui enlève l’usage de tous ses muscles.

Alan Turing de son coté a permis de déchiffrer les codes allemands durant la Seconde Guerre mondiale, a posé les bases théoriques de l’ordinateur puis a fini par se suicider du fait de traitement affreux pour « soigner » son homosexualité.

turing

Pourtant, l’écriture de ces deux films est bien différente et à mon goût, celui sur Hawking est peu intéressant et celui sur Turing tout simplement brillant. Avant de m’étendre sur Imitation Game, quelques mots sur The theory of Everything.

Théoriquement tout mais peu de souvenirs.

Si l’on essaie de cocher les cases, ce film parle à peu près de tous les faits marquants de la vie de Hawking :

  • Sa première histoire d’amour et ses enfants
  • Sa maladie : les débuts, le passage en fauteuil, la perte de la parole, le synthétiseur de parole
  • Le rayonnement de Hawking
  • Les mini trous noirs et leur instabilité

Les faits sont là, mais il manque l’essentiel, ce qui les lie entre eux…

Facts are not science, as the dictionary is not literature – Martin H. Fisher (Lu dans « Only the longest Threads » de Tasneem Zehra Husain
)

Traduction : Les faits ne sont pas de la science tout comme le dictionnaire n’est pas de la littérature.

Les faits sont là, mais ils sont peu incarnés. Du coté des personnages d’abord, on en ressort que Hawking est obsédé d’une théorie du tout (sans pour autant bien comprendre ce que ça veut dire… Je doute que ce soit aussi flou dans la tête de Hawking) et que malgré sa maladie il a gardé le sens de l’humour. C’est un peu léger et surtout on ne comprend pas bien ce qui le motive, quel est le moteur qui amène à ces résultats.

Cela est encore plus marquant du côté sciences où le rayonnement de Hawking et la disparition des trous noirs sont évoqués sans plus d’explications. On se doute bien que dans un film grand public, on ne va pas rentrer dans les détails de la relativité générale et de la mécanique quantique (quoique Interstellar s’y est essayé) mais quand même, la moindre des choses serait de faire l’effort de retranscrire ce que cherchait à faire Hawking… Il n’est pas évident que pour construire une théorie du tout, il faut prouver que les trous noirs rayonnent.

Bref, pour autant ce n’est pas un mauvais film mais n’attendez pas hélas d’en apprendre beaucoup sur le scientifique. Si par contre vous voulez en savoir plus sur sa première histoire d’amour vous serez à peu près servi.

Passons au bien meilleur des deux, celui qui raconte Turing.

Turing en 2H

La vie de Turing est incroyable. D’abord durant ses études, il pose les bases de la notion d’ordinateur. Je vous invite à lire mon dossier de PodcastScience sur les algorithmes où j’évoque ces notions. En particulier, on parle encore aujourd’hui de langage de programmation « Turing Complet » pour dire qu’on peut y écrire n’importe quel algorithme.

Ensuite, durant la Seconde Guerre mondiale, il a un rôle majeur a deux titres. D’abord il permet le déchiffrage d’Enigma, le principal système de chiffrage allemand et donne ainsi un avantage décisif aux alliés. Une fois Enigma « cassée », il met en place avec son équipe des méthodes statistiques pour optimiser les actions militaires de manière à affaiblir l’ennemi tout en faisant qu’ils ne se rendent pas compte que leur code est cassé.

Comme si cela ne suffisait pas pour faire un film, Turing est homosexuel. Cela peut paraître anodin mais à cette époque ce ne l’était pas. Après son activité militaire, il se fait condamner et à le choix entre une incarcération et un traitement aux hormones pour essayer de le « soigner » (soyons clair tout de suite JAMAIS ce type de traitement n’a donné de résultat pour éliminer l’homosexualité, par contre il s’est montré très efficace pour provoquer le suicide…).

Tout cela à raconter en deux petites heures… magnifique performance du réalisateur Morten Tyldum!

De l’automate à l’ordinateur

Le film est centré sur Enigma et son déchiffrement. Ne connaissant pas en détail la vie de Turing, ce choix ne me paraissait pas très engageant mais finalement il se révèle très intelligent. Turing a passé sa vie à essayer de construire un ordinateur, un automate re-programmable.

Il est important de comprendre la différence entre un automate et un ordinateur. Il y avait de nombreuses machines avant Turing mais ces machines étaient dédiées à une seule tâche et cela ne pouvait pas changer, on appelait cela des automates. Ce que souhaite faire Turing, ce sont des machines « universelles », qui peuvent faire n’importe quelle tâche en les reprogrammant.

On baigne tellement autour d’ordinateurs que cela ne saute pas aux yeux au visionnage mais le film présente bien cela avec la machine permettant de décoder Enigma : un premier exemple d’automate reprogrammable. Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, on est encore très loin d’un ordinateur, cette machine ne peut pas tout faire. Mais, quand Turing refait ses calculs pour qu’elle aille plus vite, il a la possibilité de la « reprogrammer » pour qu’elle fasse la nouvelle tâche sans avoir à reconstruire toute la machine. Ce fut l’un des éléments décisifs au cassage d’Enigma.

D’autre part, Turing croit à l’ordinateur aussi parce qu’il est convaincu que ce seront des machines bien plus rapides que nous pour calculer et c’est exactement ce qui est mis en avant dans le déchiffrement d’Enigma : remplacer 10000 hommes par une machine. Cette machine est donc parfaitement utilisée pour présenter les thèses de Turing.

Alan Turing en vie

L’autre élément très important dans le film est Turing lui même. On y découvre une personne hautaine car se considérant tellement intelligente que les autres le ralentissent. On le découvre aussi très sûr de lui (même si je pense que cet aspect est largement romancé…) et, bien sûr, attiré par les hommes.

Le personnage de Turing est tellement bien décortiqué et présenté que j’en suis à me demander si tout ce qui est présenté est vrai, il faudra pour en savoir plus que je lise les 700 pages dont le film est tiré.

Le film ne tourne (heureusement) pas autour de son homosexualité mais son traitement est très juste. D’abord parce que celle-ci est abordé par deux biais en parallèle, son attirance lors de son enfance et, une « presque » relation hétérosexuelle. J’ai rarement vu dans un film, l’homosexualité abordée de façon si naturelle, sans personnages marginaux, sans comportements caricaturaux, sans même de baisers entre personnes de même sexe! Qui aurait pu croire que le meilleur moyen de parler d’homosexualité était de présenter une relation hétérosexuelle. Cela donne alors une plus grande cruauté encore à sa condamnation pour « attentat à la pudeur » et au traitement qui provoquera sa mort.

Non content de présenter la vie du scientifique, l’équipe du film parvient en plus à pousser à la réflexion sur sa condamnation et plus généralement sur le traitement des homosexuels à l’époque!

Ne manquez donc sous aucun prétexte ce film.

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